Lettres choisies, transcrites et composées
par Marie-Danièle Pleintel
Conception graphique, Fanny Teissier
Préface de Claire Bourdon
Des lettres dans un grenier.
Un ensemble disparate de petits papiers et d’images pieuses. Des
photo-cartes. Dans une armoire en pitchpin, deux tiroirs emplis de
cartes postales anciennes. Un conservatoire de vie et de mémoire
(1901-1920). L’héritage d’une histoire conservée par les destinataires,
témoignage d’une correspondance familiale à présent partagée.
C’est l’histoire de Cherbourg au tournant du siècle. L’histoire de
Louise Lemassu au hameau de la Croix Bonamy, à Octeville, qui a fêté
ses 10 ans en 1900 et perdu son premier amour en 1916. Comme sa soeur
Renée, Louise a appris la couture à l’ouvroir de Biville. Augustine,
l’aînée, est institutrice au Cours Complémentaire à l’école pratique du
Quai de l’Entrepôt. Adolphe est ébéniste rue Sadi Carnot. Leur père
Auguste est employé à l’arsenal. Complexe militaro-industriel parmi les
premiers d’Europe par la mise en chantier des 40 submersibles qui
serviront dans la Grande Guerre, Cherbourg est également un centre
pionnier de l’Aviation Militaire. On y vit les folles années de la
Maison Ratti, des fêtes vénitiennes qui célèbrent l’Alliance
franco-russe lors des visites officielles de l’empereur de Russie, la
belle époque des expositions universelles et des grands paquebots
transatlantiques, l’âge d’or du Train express New-York-Paris, des
premières bicyclettes, du chemin de fer qui désenclave les campagnes et
qui permet d’expédier en une seule journée, du Cotentin au Pays d’Auge,
un veau, un homard, un baromètre, ... mais par-dessus tout des cartes
postales.
A travers les rituels épistolaires se dévoilent un monde intime et
affectif, une chronologie d’événements, les murmures et les éclats
d’une époque qui s’achève dans les tranchées de Verdun. Ces missives
ordinaires ne s’enchaînent pas comme un dialogue linéaire. Elles sont
écrites par différents correspondants qui forment un réseau familier,
amical, entre Octeville et Dozulé, Omonville, Etienville,
Fresnay-sur-Sarthe etc. , aller-retour et vice versa.
Le XIXe siècle est le siècle de l’entrée de toute une société dans la
culture de l’écrit. Dans la période 1900-1920, la carte postale
illustrée est un média populaire de communication à distance qui
participe des succès de l’alphabétisation systématique voulue par les
lois Jules Ferry. Elle permet des communications répétées et à moindre
coût. De même que la révolution industrielle a modifié les transports,
les innovations de la phototypie et la large diffusion de la carte
postale contribuent à une sorte de révolution des images. C’est une
télévision avant la lettre. Fixée par de petits photographes locaux,
éditée et diffusée par le moindre buraliste ou épicier de village, la
carte postale livre une large palette de décors. Elle met en scène les
principes d’éducation (sentimentale), les propagandes nationalistes des
« Revanchards », autant que les tendances vestimentaires. C’est alors
une mine d’inspiration pour les modistes et les couturières.