"Le Roi du Lard", 2015
                                                          Didier Malhaire
roman



«J’ai frappé dans mes mains. Les oiseaux ont fui vers d’autres arbres, un autre verger à piller. Ils finiront par revenir, fidèles comme un regret, comme cette douleur que je sens tapie en moi. Elle semble parfois me quitter, puis à nouveau, bien vivante, prête à éclater. La disparition de grand-mère me laisse plus vulnérable que ce que je croyais…»

Le roi du lard est la chronique d’une rédemption amoureuse. C’est l’histoire bouleversante d’un parcours sentimental, où le passé se confronte brutalement au présent. A la mort de sa grand mère, Ludovic se retrouve plongé au cœur de l’intime et doit affronter Jacky aux yeux si bleus, au corps si sensuel avec qui, enfant, il partageait ses premiers émois.
Une lutte difficile contre la vertu des convenances sociales et morales.

Parce que les révolutions sont d’abord intérieures, Didier Malhaire signe ici une ode à l’élan de vivre à ciel ouvert un amour interdit et prend à bras-le-corps ces terribles tabous pour impulser la liberté d’aimer pleinement parce que l’on a juste une vie.


A&S (APACMR)


Le Roi du Lard a reçu le prix des lycéens de la ville de Caen en 2014 et le prix KritiCLE 2015
organisé par la bibliothèque d'Hérouville St Clair et le collège/lycée expérimental (CLE) d'Hérouville St Clair.

Une première édition a été réalisée aux Éditions "LES TAS DE MOTS", 2013.




Papiers découpés sur la couverture : Christine Duflo (christineduflo.e-monsite.com).


Format 15x21cm, 262 pages, impression noir et blanc sur papier Munken Lynx 90 g, tirage en 200 exemplaires. ISBN :  978-2-917437-59-9. Prix de vente 15 € (+ 4 € de frais de port). Si vous souhaitez acquérir un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON de COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque de 15 € plus 4 € de frais de port, à l'ordre de "Galerie 175 - Éditions du Chameau", au 154 grande-rue 14430 Dozulé.


Pour une commande de deux livres les frais de port s'élèvent à 8 €, au-delà, nous contacter.


Extrait du livre :

    Ludo
J’ai tiré sur ma dent avec mon pouce. Vers l’avant, ça m’a fait un peu mal, comme du vinaigre sur une coupure, et puis plus rien. J’ai appuyé un peu plus fort, vers l’arrière. J’ai senti un petit ploc. Dans la bouche, j’ai eu un drôle de goût salé et, sur ma langue, j’ai senti un petit machin dur. Ça fait comme une fève dans la galette, le jour des Rois. Entre mes dents, sur le devant de ma bouche, j’ai ouvert une porte bizarre, comme une brèche dans une haie. J’ai glissé ma dent de lait dans la poche de mon short. Je vais la planquer, l’enterrer dans un coin du jardin et surtout ne pas en parler. L’autre jour, j’ai brandi mon trophée, à table, sous le nez de ma mère.
« Ramasse ça, Ludovic, c’est dégueulasse… Ouvre ta bouche ! Ouvre ta bouche, j’te dis ! » J’ai fini par obéir.
« Michel, vise la tronche de ton fils ! »
Mon père a jeté un regard vague par-dessus son verre de rouge.
« Regarde, il perd ses dents de lait… » Ma mère a gloussé : « Ça le rend pas plus beau ! Il est d’un laid ! » Tous les deux sont partis dans une crise de rire et ils ont fini par m’oublier et puis, comme d’habitude, ça s’est gâté.
Au-dessus de ma tête, la voix pointue de ma mère perce les murs, éclate malgré la porte close. De temps en temps, le bourdon bas de mon père tombe sur le plancher comme une bête lourde. Ma mère et mon père s’engueulent pour une lettre, un bout de papier cradingue tombé de la poche de mon père. Je suis presque heureux quand ils se crient dessus. Au moins, pendant ce temps-là, je n’existe plus. Je me suis quand même réfugié sous l’escalier, le chien Rip dans les jambes. Il tremble contre moi, et je ne sais pas si c’est son tremblement qui provoque le mien ou le contraire. À l’étage, le silence règne à nouveau. Rip a glissé son museau entre mes genoux. Peut-être que l’orage est passé et que de mes parents je n’entendrai plus rien, rien que les rires étouffés. Ils vont sûrement redescendre, mon père en premier, finissant de se reculotter, ma mère tardant à réapparaître, le regard las et bizarrement douce…
Cette fois-là, rien ne s’est déroulé comme d’habitude. Ma mère glapit et semble ranger la chambre conjugale à sa façon. Les vêtements de mon père ont atterri dans la cour. En penchant la tête, j'aperçois le cadavre d'une chemise blanche qui gît dans une flaque. Un caleçon long agite mollement ses jambes grêles au-dessus de la grille d’entrée. La porte, au premier étage, s’est ouverte.
« Michel, si tu passes cette porte… Jamais tu ne remettras les pieds dans cette maison ! »
Le pas lourd de mon père a résonné au-dessus de ma tête. Rip a dressé les oreilles.
« Tu m’entends ? Michel ! »
Mon père a décroché sa canadienne pendue dans l’entrée. Il est sorti. Sa valise verte accrochée à la main, il a refermé rageusement la porte d’entrée derrière lui. J’ai entendu ma mère hurler à l’étage. Elle devait être penchée à la fenêtre.
« Tu oublies ton mioche et ton chien. Si tu crois te tirer comme ça, c’est ce qu’on va voir ! Le mioche y va dégager… Salaud ! J’en voulais pas ! J’l’ai gardé pour toi… Monsieur voulait être père… Michel ! J’espère que là-bas, tu vas y crever ! »
Le silence a envahi la maison, la plongeant dans un calme inhabituel. Le soleil, à travers la porte vitrée, petit à petit glisse comme un serpent silencieux jusqu’à ma cachette. Rip contre moi s’est assoupi. Sous l’escalier, il règne une fraîcheur sombre et humide. Je n’ose pas en sortir. Je n’ai pas d’autre abri. Le jardin m’appelle, mais je sais qu’il me faudra passer à découvert dans la cour. Peut-être que ma mère monte encore la garde à sa fenêtre… Je n’ai pas le courage d’affronter sa colère.
Plus tard, elle est enfin réapparue. Elle a pris son imperméable et son sac. Tout en me tournant le dos, elle s’est adressée à l’antre noir de l’escalier.
« Ludovic, j’ai à faire. Tu m’entends ? Tu ne m’attends pas pour manger. Il reste bien un bout de pain et de fromage. Tâche d’être au lit quand je rentrerai, sinon… »
Rip est sorti de sa cachette, frétillant mollement avant que j’aie eu le temps de le retenir.
« Toi, le clébard, dehors ! »
Elle a saisi Rip par le collier et l’a viré d’un coup de pied au cul vers la cour.
J’ai guetté à la fenêtre de la cuisine. J’ai aperçu ma mère grimper sur son vélo et prendre la route de Fresville. J’ai retrouvé Rip. On a partagé le fromage et le pain. J’ai piqué un pot de confiture de fraises. La fraise me dégouline sur les doigts. Rip me lèche la main de sa langue douce et humide. Le souper terminé, je suis allé me coucher. Rip a essayé de me suivre. J’avais envie qu’il couche son flanc chaud contre moi. J’ai ouvert la porte sur le noir du jardin. En soupirant, il est allé se réfugier dans sa niche. Je ne savais pas encore que c’était ma dernière soirée avec Rip.


Ludovic
Je ne savais plus où je nageais et, petit à petit, je suis remonté vers la surface. J’ai ouvert un œil. La balise rouge du réveil veillait sur la table de nuit. Six heures et demie ! Rip a gémi… Paul, dans un soupir, s’est retourné. La masse de ses cheveux blonds cachait à demi son visage, et le téléphone ameutait toute l’entrée. Par la fenêtre, le jour dépassait à travers le bleu des rideaux. Au passage, j’ai bousculé le chien Rip. Il a ouvert un œil désapprobateur, a bâillé gueule ouverte sur la menace de ses crocs inoffensifs. Il en a profité pour se pelotonner sur le lit, dans la chaleur rassurante de Paul.
« Ludo, c’est Jacky. » J’ai essayé de rassembler mes idées.
« Qui ?
− Jacky… Je t’appelle de Fresville ! … Tu m’entends ?
− Oui… Qu’est-ce que tu veux ? »
Malgré moi, je me suis senti presque hargneux !
« Je suis désolé… Ludo… Elle est partie…
− Qui ? Christine? Bon Dieu… Qu’est-ce que tu racontes ? »
Un ricanement s’est arrêté au bord de ma bouche.
« Ludo, tu m’écoutes ? Je suis aux Trois Basile… Aux Trois Basile. »
Jacky a fait une pause. J’ai cru reconnaître la voix d’Émilienne.
« Elle est morte cette nuit… » Sa voix s’est mouillée.
« Je t’attends. »
J’ai bredouillé je ne sais plus quoi. La première bouffée de cigarette m’a paru aigre. Paul dormait toujours. J’ai pensé, voilà, c’est arrivé… Et j’étais presque soulagé. Un merle, sinistre comme un muezzin, a jeté un cri perçant sur la ville grise de sommeil.
L’eau tiède de la douche m’a semblé glaciale. Progressivement, je me suis laissé envelopper par l’eau de plus en plus chaude. Je ne sentais rien. Ni le froid ni le chaud.
Paul a buté contre la porte de la salle de bains, les yeux mi-clos, il avait une tête de cocker qui aurait perdu sa laisse.
« Ludo, c’était qui ? Encore ce raseur de Max ? Qu’est-ce qu’il voulait ? Sa voiture est encore en panne ? J’ai pas le temps de passer le chercher… J’en ai marre de ses séances de pelotage pendant que je passe les vitesses… »
Je n’ai rien répondu. Bizarrement, la douceur de la voix de Paul a ravivé la douleur dissimulée sous la mollesse humide du savon.
« Je pars pour Fresville, aux Trois Basile. Elle est morte… C’était Jacky. »
Je me suis rincé. Hors de la douche, Paul m’a serré contre lui. Ses yeux gris étaient deux flaques de tristesse dans le petit matin. La chaleur de sa peau m’a fait frissonner. Une crampe s’est installée là, dans le creux de mon estomac.
« Laisse-moi… »
Il a posé sa main sur mon épaule.
Et toujours cette crampe, comme un étau au milieu du bide. Inspirer, expirer, souffler. Inspirer, expirer, souffler. Ne pas s’émouvoir, ne pas pleurer, ne pas s’apitoyer…
La concierge est dans l’escalier. Merci de ne pas la déranger.
Paul a bu son café. Il a traîné, indécis, ne sachant pas comment me laisser là. Tous les matins, il lambine, perd ses clés, les retrouve, prolonge les jeux et les caresses, agace Rip et s’évanouit soudain, aspiré par son retard. Il m’a embrassé dans le cou, a disparu sans bruit, avalé par l’escalier.
La porte refermée, le silence de l’appartement m’a un peu apaisé. Le chien Rip est venu me lécher les mains. Il faisait sa tête de phoque : museau aplati et regard en point d’interrogation.
« Rip, on va se promener. À la campagne… aux Trois Basile. » À ce nom, il a remué la queue et s’est mis à japper.
J’ai fini le café tiède en fumant ma cigarette. La douleur s’était rendormie. Anesthésie générale. La valise bouclée, le chien sur les talons, j’ai quitté Paul, l’appartement, comme un voleur. Ce n’était ni une fuite ni un abandon. Je suis parti là où l’on n’avait plus besoin de moi. Rip a bondi quand il a vu la laisse et le collier. Dehors, il a flairé la voiture et s’est arrêté d’aboyer. Installé sur le siège avant, comme un passager contrarié, le museau entre les pattes, il a soupiré et a semblé s’endormir. En quittant la ville, la pluie a commencé à diluer le paysage. Dans six heures, nous serions arrivés. Tout était gris. J’ai pensé aux yeux de Paul.


...



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