"Salut Poilu !", 2019
Loïc Jacquet









Quoi de plus naturel pour faire revivre une parole que de rentrer en dialogue avec son scripteur !
Descendu des hauteurs de son village natal de Fleurie en Beaujolais, brancardier affecté au 55e bataillon de chasseurs à pied, Léon Rotival a 32 ans en 1915 quand, en ligne de front près de Soissons, il écrit une lettre à sa femme, Léontine. Cette missive condense le combat, la vie militaire, l’amour, les copains, et peut-être bien plus encore…
103 ans plus tard, Loïc Jacquet se porte à la rencontre de cet arrière-grand-oncle et file une ligne d’écriture jusqu’à lui, au-dessus des tranchées.
Echanges d’écritures et jeu d’adresses qui s’entremêlent, vivants et entrainants.
Pour qu’une parole restée en suspens fasse retour, les mots déposés par Léon dans sa lettre sont autant de petits cailloux blancs que l’auteur, interpellé par son jeune fils, va suivre, pas à pas, et nous entrainer à sa suite, pour, ensemble, réinvestir au présent le passé.

Loïc Jacquet

Note de l’auteur.

"Une lettre. Une de plus ! Les soldats ont en effet tant et tant témoigné de la guerre —cette « monstruosité » comme le dit Gabriel Chevallier— à travers leurs correspondances. Un flux de lettres à la hauteur de la sidération et de l’anéantissement.
Nombreux sont les ouvrages qui compilent ces bafouilles et les additionnent les unes aux autres. Certes, elles sont du plus grand intérêt. Et pourtant, dans ce déversement de mots, j’ai souvent eu le besoin de ralentir le rythme de la lecture, de m’interroger sur le destin de son auteur —Qui est-il ? En est-il revenu ?— de l’identité de la personne à qui il s’adresse, de la position du soldat dans les tranchées, et sur le front, des batailles auxquelles il a participé, etc.
L’occasion s’est présentée à moi. Au hasard d’une histoire de famille, une lettre refait surface : celle de Léon Rotival, mon arrière-grand-oncle, brancardier régimentaire affecté au 55e bataillon de chasseurs à pieds. Dans cette lettre, il nous raconte la bataille de Crouy (8-12 janvier 1915). En creux, il témoigne de la guerre, celle qui déchire les corps —forcément, il est brancardier— autant que les âmes, les défigure, y fait pénétrer de la noirceur à l’intérieur. Tout est là !
Et si je souscris —comme tant d’autres témoins et pas des moindres : Barbusse, Chevallier, Dorgelès— à l’idée qu’il n’y a rien de glorieux à tuer d’autres hommes, il peut y avoir de la grandeur à secourir les blessés et relever les morts au risque de sa propre vie.
Je me suis donc donné la tâche suivante : considérer cette lettre comme une totalité qui se suffit à elle-même (la question de savoir s’il existe d’autres lettres de sa part ne m’intéresse pas), la lire et la relire, y relever les bribes d’information comme autant d’indices —à commencer par déterminer l’année de sa rédaction ; 11 janvier de quelle année ? Et pour quelle bataille ?— tirer sur toutes les ficelles, la trifouiller, lui faire « rendre gorge » et rendre voix, redonner chair au personnage de Léon, son épaisseur, ses affects, le réinscrire dans l’histoire de sa famille, de son village, recontextualiser, remettre en perspective et en montrer l’actualité. Initier un dialogue avec Léon, lui donner une place —y compris dans l’ordre des filiations ; je finis avec mon fils— et rendre tout simplement la parole à cet homme.
Et pour ce faire, articuler rigueur documentaire —toutes les informations que je délivre sont issues des archives— et liberté de la plume à travers un dialogue avec un homme disparu —ce que l’écriture permet !— pour le réanimer, en prendre soin et le relever… et nous relever de la même façon en mettant en lumière, après-coup, la douloureuse question du trauma et sa dimension transgénérationnelle jadis méconnues.
La contribution de Françoise Davoine est, de ce point de vue, lumineuse. Françoise prolonge le propos, partage l’histoire de son grand-père, lui-même brancardier, et donne à penser des ouvertures là où s’achève mon texte."


Extrait de ouvertures, un texte de Françoise Davoine inclu dans le livre :

"Salut Poilu !  est un voyage hors norme. Loïc Jacquet va à la rencontre de son grand-oncle, Léon Rotival, vigneron à Fleurie dans le Beaujolais, puis chasseur à pied et brancardier, pendant la guerre de 14. Partant d’une lettre écrite dans les tranchées par Léon Rotival à sa femme le 11 janvier 1915, le récit s’achève sur un poème composé par le fils de l’auteur, Eytan, âgé de 10 ans, et lu par ce dernier à l’occasion de la commémoration de la grande guerre, le 11 Novembre 2017. Le refrain du poème : « nous gagnerons cette guerre », me touche particulièrement, car il porte l’espoir, celui d’un combat contre l’effacement des traces, au cœur de mon travail d’analyste.
 J’avais 7 ans à la mort de mon grand père maternel, Ernest Bouchard, contemporain de Léon Rotival, chasseur à pied et brancardier comme lui. Je me souviens de sa main calleuse de vigneron en Franche Comté. Il ne parlait jamais de sa guerre, mais il me sifflait des airs de ce temps-là. Grâce à Salut Poilu ! j’ai été en mesure de faire parler son silence, ainsi que l’énigme de sa réponse quand je lui demandais pourquoi il était brancardier : « Parce que j’étais dans la musique. » Il était trompettiste dans l’harmonie de Champlitte, sa petite ville, et rapporta du front son cor de chasse cabossé que je me suis empressée de montrer à Loïc.
Je crois que je lui dois d’être devenue analyste de la folie et des traumas, d’abord à l’hôpital psychiatrique. J’avais pris cette décision avec Jean Max GaudillièreL --natif du Beaujolais-- sans bien savoir pourquoi, car nous n’étions ni psychologues ni psychiatres. Dans la voiture du médecin chef qui nous accueillait dans son service à Prémontré, dans l’Aisne,  nous traversions des cimetières de croix blanches sans y prêter attention. Jusqu’à ce qu’un rêve m’éclaire sur cette drôle d’idée, dans lequel mon grand père m’apparaissait. J’avais parlé ce jour là avec un homme interné depuis la dernière guerre. Il fumait la pipe, comme lui. A vrai dire, presque tous les pensionnaires, comme on disait alors, nous parlaient des deux dernières guerres.
A la lecture de SalutPoilu !, la  musique retenue dans le cuivre noirci  et cabossé des chasseurs à pied, s’est soudain mise à résonner grâce à l’enquête rigoureuse de Loïc Jacquet, et à son style rythmé par une scansion épique.  Après avoir retrouvé les traces de son arrière grand-oncle à Fleurie, il se met en marche et nous entraîne jusqu’à la cote 132, près de Soissons, où fut livrée la bataille dont témoigne la lettre. En le suivant pas à pas, dans ce paysage recouvert d’herbes et de buissons, j’ai vu surgir sous la mitraille les brancardiers à l’œuvre parmi les morts et les blessés ..."

 
Format 13,5x19 cm, 88 pages. Tirage numérique sur papier munken lynx 120g.  ISBN :  978-2-917437-90-2.
Prix de vente 15€ plus 4€ pour les frais de port pour un exemplaire. Si vous souhaitez acquérir un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON de COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque de 15€ plus 4€ de frais de port, à l'ordre de "Galerie 175 - Éditions du Chameau", au 15 rue Mélingue 14000 Caen.

La photo de Léon Rotival :



un extrait de sa lettre à sa femme :



Extrait du livre :

"Salut à toi, Léon ! Nous ne nous connaissons pas, et pour cause : entre ton décès et ma naissance, un peu plus de vingt-et-une années s’écoulent. Une petite poignée de poussières de temps. Juste assez pour que tu ignores tout de mon existence. De toi à moi pousse pourtant un arbre-Fleurie dont la ramure s’étend au gré des ans et des vents. Tu es branche noueuse au fût du tronc. Je suis tige à la cime. Et déjà, sur cette tige, pointent rameaux et bourgeons.
Je t’explique : tu es Rotival ; et de tes cinq frères et sœurs, Marie-Joséphine —elle est plus grande que toi— a épousé Abraham. Le bonhomme était un vigneron du Beaujolais. Il est venu s’établir à Fleurie. Ton village.
Un type bizarre. Avec juste une baguette de noisetier, il détectait des sources à plusieurs mètres de profondeur sous la terre. Il suffisait de creuser là où la baguette vibrait et pointait sur le sol. Et de l’eau en jaillissait. À tous les coups. Plus d’un dans le village s’en amusait. Le comble ! Alors que le gars cultivait le raisin et maîtrisait l’art de la fermentation, il pouvait, les yeux fermés, dégoter de l’eau. De là à ce qu’il transforme du vin en eau, ou l’inverse… il n’y a qu’un pas !
De tout là-haut, au café du village, Abraham s’était aussi initié à quelques placements en bourse. Boursicoteur à ses heures perdues. Les mêmes mains grossies de muscles et d’os à force de tailler la vigne s’essayaient à placer de l’argent. Les emprunts russes eurent raison de sa« danseuse ».
 Bref ! Marie-Joséphine Rotival, en épousant Abraham, est devenue Clémencin. Abraham et Marie-Joséphine ont toujours vécu à Fleurie. Ils ont eu trois filles. Jeanne —ta nièce— était la seconde. Elle a grandi. Jusqu’à dépasser le pied d’une vigne à floraison. Jeune fille en fleur. Parfois elle se baladait avec ses copines du côté de la Brirette. Sa sœur Emma la suivait partout, missionnée par les parents pour la surveiller. Mais Jeanne était belle. Les galants s’en approchaient, tournaient autour et resserraient le cercle de leur parade...
À ce jeu, un jeune homme prénommé Charles s’est distingué. Sur un banc public, dos au cimetière Charles l’a courtisée. Et dans les règles de l’art. Le grand numéro ! Jeanne succomba. Charles était beau gars. Sans aucun doute ! Mais l’allure était disciplinaire. Le port de tête était droit et le cheveu brun court. Le regard ne faisait pas exception. Plissé et sévère. Capable de découper. Et pourtant, posés sur Jeanne, les yeux s’arrondissaient, attendris et enveloppants. Amoureux.
Au final, Charles épousa Jeanne. Elle était Clémencin, elle est devenue Jacquet. Et tous les deux se sont installés à la ville. Ou plutôt Belleville. Ils ont eu six enfants dont Bernard, le second. Et lui, c’est mon père ! Hop ! Me voilà dans la boucle !
Léon ! Tu ne me connais pas, mais moi, je te connais. Mes parents te connaissent. Mes enfants te connaissent aussi. Pareil pour ma femme. L’instituteur de mon fils te connaît. Et mes copains aussi. Et tout ça, c’est à cause de ta lettre. Une sacrée babille ! Tu es en ligne de front et tu écris à ta femme, Léontine, et tu lui dis à quoi ça ressemble, la guerre. C’est comme si elle est tout à côté de toi et que tu lui racontes. Il y a des jours où, quand je la relis, j’ai presque l’impression de gêner, tellement vous donnez l’impression d’être ensemble, et que les mots que tu écris sont doux et amoureux. Et pourtant, je la lis à qui veut l’entendre. Et toujours ! Je ne m’en lasse pas. Manière pour moi de vérifier chez l’autre l’effet qu’elle a fait sur moi.
Cette lettre, je la tiens de mon père qui l’a reçue lui-même de sa mère.
.."



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