Cette
nouvelle, publiée une première fois en 1960, est une histoire d'amour
tragique sur toile de fond du conflit israélo-palestinien.
Sa réédition, à la demande de l'auteur, traduit malheureusement l'enlisement transgénérationnel de ce conflit.
Léon Gouesmel, né en 1920, nous livre
avec acuité un texte sans appel sur l'absurdité des conflits dont les
raisons initiales se perdent dans la nuit des temps.
Note de l’auteur
Le 11 janvier 2015, de nombreux chefs d’état ou de gouvernement se sont
rassemblés à Paris pour s’associer au désarroi de la France endeuillée
par un attentat d’inspiration djihadiste, premier d’une série qui
allait ensanglanter cette année 2015 ; Allemagne et France
manifestèrent leur amitié et s’étreignirent à la face du monde ; et
moi, je rêvais de voir Mahmoud Abbas, le palestinien et Benyamin
Nétanyahou, l’israélien, présents dans l’assistance, se levant, allant
l’un vers l’autre et s’étreignant eux aussi à la face du monde ; quelle
scène et quel retentissement elle aurait eu dans le monde et dans
l’Histoire ! Quelle espérance pour les peuples concernés et leurs
voisins - et aussi quelle heureuse conclusion pour mon modeste
ouvrage !...
Mon rêve, naïf et grandiose s’éteignit avec la cérémonie, mais, conseil
de Fr. Jaillot, producteur de l’émission religieuse de France 2 chaque
dimanche, « suivez vos rêves, certains peuvent illuminer la vie du
monde ».
Léon Gouesmel
Préface
Ma première rencontre avec Léon Gouesmel a été par procuration à
l’occasion d’une librairie éphémère que nous fîmes place St-Sauveur à
Caen, avec des collègues éditeurs, dont Franck Achard pour les éditions
La Renverse. C’est d’ailleurs Franck qui accueillit à cette occasion
Léon Gouesmel, lorsqu’il cherchait un éditeur pour rééditer une
nouvelle qu’il publia à compte d’auteur en 1960... Il est né en 1920.
Après plusieurs contacts téléphoniques et avoir lu sa nouvelle, je
finis par rencontrer Léon Gouesmel avec le projet d’une réédition.
Léon Gouesmel a été infirmier toute sa vie professionnelle. Passionné
d’histoire il possède une mémoire exceptionnelle et continue toujours à
lire des livres d’histoire.
L’idée de ce texte, le seul qu’il ait écrit, lui est venue un soir en
rentrant chez lui après le travail à l’hôpital de Bayeux. Traversant le
jardin des plantes il se questionnait sur la peine de mort et son
utilité, encore en vigueur à l’époque. De fil en aiguille il pensa au
conflit israélo-palestinien et choisit ce cadre politico-historique
comme point de départ pour l’écriture d’une nouvelle sur ces réflexions
sur la peine de mort et contre la haine en général.
Il commença alors un travail minitieux de documentariste pour projeter sa nouvelle dans ce conflit.
Léon Gouesmel, comme il l’explique très bien dans la note de l’auteur,
écrite récemment, considère que son texte reste malheureusement
parfaitement d’actualité 58 ans après son écriture. L’occasion d’une
deuxième sortie lui a permis de corriger très partiellement quelques
éléments du texte initial, qui avaient pris un sens différent et trop
connoté dans notre époque actuelle. C’est aussi et surtout l’occasion
de redonner ce texte à lire et de remercier Léon Gouesmel pour ce qu’il
est, un homme étonnant de vitalité et d’esprit.
F.B.
Format 13.5x19 cm, 64 pages. Tirage noir et blanc sur papier munken lynx 120g. ISBN :
978-2-917437-91-9.
Prix de vente 12€ plus 4€ pour les frais de port pour un exemplaire. Si vous souhaitez acquérir
un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON de COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque
de 12€ plus 4€ de frais de port,
à l'ordre de "Galerie 175 - Éditions du Chameau", 15 rue Mélingue 14000 Caen.
Le début de la nouvelle :
Parvenu à quelques pas de la
jeune fille, le gamin s’arrêta et reprit souffle ; bien qu’il la
connût, lui ayant déjà servi de messager à plusieurs reprises, il
hésitait ; absorbée dans son travail, elle n’avait pas entendu le
frôlement des pieds nus de l’enfant sur les pierres qui pavaient çà et
là le sol spongieux et putride ; agenouillée sur une large dalle
qui la protégeait de l’humidité, elle était courbée sur le bord de la
mare qui s’étendait devant elle et, précautionneusement, y frottait une
pièce de linge ; la contrainte de ses gestes disait assez quel plaisir
elle eût éprouvé à faire ce travail dans une eau limpide ; mais ici,
c’était le règne de l’eau stagnante, malpropre et nauséabonde. Les
manches de son ample robe bleue relevées au-dessus du coude, la jeune
fille avait rejeté en châle sur ses épaules le voile qui d’ordinaire
enserrait sa chevelure.
Elle se redressa tandis qu’une contraction fugitive de son frais visage
trahissait la fatigue ; elle essora le linge qu’elle venait de rincer,
et le tenant étendu entre ses mains le considéra avec une moue
insatisfaite. L’enfant, les yeux pétillant sous ses cheveux ébouriffés,
regardait.
Cette scène se passait vers la mi-mai 1948, au bord des marais de
Huleh, cette plaque de lèpre qui, à cette époque encore, ternissait le
beau visage de la Galilée ; en ce point de son cours, le Jourdain,
descendu des monts du Liban et parvenu à peu près au niveau de la mer,
s’étale paresseusement avant de s’enfoncer dans une dépression de plus
en plus profonde qui va le mener au lac de Tibériade et, de là, à la
Mer Morte. La malaria, il va sans dire, désolait cette zone où l’on ne
trouvait que de rares villages dans lesquels végétait une population
arabe aussi misérable que celle du désert tout proche.
Le garçon s’avança enfin, timidement, et la jeune Arabe, alors
redressée, l’aperçut et lui sourit : « Bonjour, Khaleb, approche,
n’aie pas peur... que veux-tu ? Aurais-tu quelque message à me
remettre ? »
Khaleb hocha la tête affirmativement et, s’avançant résolument, lui
tendit un papier que sa main avait nerveusement chiffonné. À ce moment,
levant les yeux, il rougit intensément ; il venait d’apercevoir
quelqu’un dont l’aspect eut le pouvoir de le mettre en déroute car il
jeta, plutôt qu’il ne donna, la missive à sa destinataire et s’enfuit à
toutes jambes dans un envol de ses hardes dépenaillées. Ce personnage
inopportun, aux allures de matrone, n’était autre que la mère de
Rachida, la jeune Arabe ; elle sortait du gourbi qu’elle partageait
avec celle-ci tout près de là lorsqu’elle vit Khaleb tendre à sa fille
la lettre dont il était porteur et, à la précipitation du gamin, elle
jugea qu’il avait dû recevoir la consigne très nette de ne s’acquitter
qu’en secret de sa mission.
« Raison de plus d’y aller voir de près », pensa-t-elle, « ce sera encore ce sale Juif... »
Rachida ne s’était pas retournée, mais la fuite de l’enfant l’avait
mise en garde ; elle redoutait sa mère, et son teint hâlé vira au
pourpre lorsqu’elle la sentit près d’elle. Comme beaucoup de femmes de
son peuple, la vieille avait subi l’envahissement graisseux qui peu à
peu annihile les formes et détruit toute beauté, mais son visage avait
échappé à cette disgrâce ; ses pommettes saillantes et la mince ligne
de sa bouche avaient conservé l’expression de dureté dont Rachida et
son frère Ali avaient tant souffert aux jours de leur enfance ; ses
yeux, dont la pupille paraissait se perdre dans l’iris tant ils étaient
noirs, vrillèrent Rachida jusqu’à l’âme :
« Donne ! »
et elle tendit une main parcheminée dont la jeune fille savait qu’elle
n’avait pas sa pareille pour pétrir trois mesures de farine ou brandir
une lanière.
« Donne ! »...