"Le goût des hommes", 2016
                                          Janine Mesnildrey
roman


Janine Mesnildrey, auteure de textes et poésies, fait partie des membres fondateurs de l’association Lire à Saint-Lô et du prix littéraire Jean Follain. Elle anime des ateliers d’écriture et a collaboré en 2014 à l’ouvrage collectif  : Elles écrivent… Elles vivent ici en Normandie publié aux éditions Les tas de mots. Le goût des hommes est son premier roman.



« Je ne savais pas que ce goût serait si difficile à vivre et encore plus difficile à assumer » écrit Janine Mesnildrey dès la première page de son roman. Et d’ouvrir ainsi un pan de mémoire qui nous donne à vivre les audaces, les hésitations, les doutes et les intermittences du cœur de la narratrice pour échapper à une vie trop vite « raisonnable, tracée dans une terre asséchée, où chaque victoire était une perte, une rivière disparue ». Le goût des hommes, qu’elle découvre toute jeune, alors qu’elle est déjà mariée, est d’abord le goût de la liberté, le goût de vivre pleinement, et presque à son corps défendant, des épanouissements qui ne sont pas que sensuels.
On est là dans une longue réflexion qui part d’un temps révolu, remisé aux creux des malles du souvenir, alors que les angoisses de la grossesse - avant la pilule et Simone Veil - tourmentent les femmes qui, pour plagier la chanson, « aiment les hommes à femmes qui aiment les femmes à hommes ».
On est aussi dans une parfaite contemporanéïté, quand se pose la question du sida, venue re compliquer les choses déjà pas si simples. Mais on rendrait bien trivial le récit si l’on s’en tenait à ces considérations pourtant fondamentales.
Avec Janine Mesnildrey nous sommes surtout dans l’éternité d’une méditation, d’une profonde et très élégante interrogation sur la possibilité du couple, qui continue cependant à exister, en arrière‑plan d’un autre art d’aimer. Nous sommes à l’antipode de la très respectable Catherine Millet et de ses libertinages exacerbés jusqu’à l’apparence de la froideur clinique. Le goût des hommes est un livre dont la finesse d’écriture transcende tout risque de complaisance voyeuriste. évoquant le désir lui-même et le plaisir, sans détour ni chaste pruderie, il est aussi bien plus que cela : une profondeur d’être qui intègre la tendresse, l’émotion, l’intelligence des autres autant que celle de soi-même. Et cette subtilité s’accompagne de la jouissance d’un parcours d’écriture. Parcours au sommet de la lecture philosophique également, ou littéraire, mais, pour le dire comme Verlaine, « sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». Juste des évocations, des citations, qui dévoilent une rêverie songeuse et engagent une réflexion marquée par la sincérité d’un féminisme soft.
Les hommes sont glorifiés et mis en blason. Les déceptions sont évoquées avec une touchante grandeur d’âme qui n’a rien de mièvre, et sont autant de retours sur soi qui confinent à une forme de sagesse. Un livre lumineux.
Serge Mauger



Format 13,5x19 cm, 248 pages, tirage numérique en 100 exemplaires, sur papier Munken Lynx 90g. ISBN :  978-2-917437-77-3. Prix de vente 15 € (+ 4 € pour frais de port). Si vous souhaitez acquérir un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON de COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque de 15 € plus 4 € de frais de port, à l'ordre de "Galerie 175 - Éditions du Chameau", au 154 grande-rue 14430 Dozulé.

Couverture : détail d'une peinture à l'huile (2016) de Darius.

Pour une commande entre 2 et 4 livres les frais de port s'élèvent à 7 €.
Au-delà, nous contacter.


Extraits du livre :

... Quand le Sida survint, le réveil fut brutal. Les hommes et les femmes ne se comprenaient plus. S’étaient-ils jamais compris ? Faire l’amour sans craintes nous avait un peu rapprochés. Mais la peur était revenue. Je la connaissais. J’avais été façonnée par elle. J’étais de cette longue lignée de la peur. Bien sûr, je le sais bien, cela n’a rien d’exceptionnel, toutes les femmes appartiennent à des lignées de la peur. On était bien imprudentes et bien légères de l’avoir oubliée. La mienne était celle du menu peuple des servantes vouées aux soins et à la traite des vaches de générations en générations, des petites bonnes violées et engrossées qui accouchaient dans la honte, ma grand-mère, celle des avortements et des septicémies, mon autre grand-mère, celle qui avait mis au monde neuf enfants en treize ans, ma mère. La peur, je l’avais dans mes gènes, longuement barattée dans le profond de l’être. Elle m’était à vingt ans, j’étais déjà mère, plus familière que le plaisir. à vingt-deux ans j’avais deux enfants. Peut-on imaginer ce que représenta la pilule contraceptive pour celles qui furent les premières de toute l’humanité à en bénéficier ? Une angoisse du fond des temps venait s’amortir à nos pieds de souveraines. D’un jour à l’autre nous étions passées à la modernité. Plus rien de commun avec le sort de nos mères ! Alors la peur revenant, encore, et encore, fourrager dans les cœurs, dans les corps, nous avions vraiment trop de mal à y croire. Comment les femmes et les hommes allaient-ils faire face ? Très mal. Les femmes se heurteront au refus des hommes de se sentir concernés, à leur mauvaise grâce pour des précautions qui attentaient à leur fierté. Comme toujours les apparences étaient sauves, l’amour régnait en grand maître des vies, les faisait, les défaisait, assurait la descendance. Partout invité, il présidait aux bonheurs comme aux malheurs, mais quand on y regardait de près c’était la guerre. Les rencontres amoureuses, les illégales, surtout, les coupables, finissaient avant de commencer et nous laissaient des arrière-goûts très amers...



... La plume se cabrait parfois devant l’indicible de ma vie de femme mariée. Certes, les temps avaient changé. Vécues, envolées les belles aventures de l’étroite fenêtre insouciante. Douze petites années coincées là, au-dessus de nos têtes, juste sur notre vie. Un miracle, un éclair ! Il n’en restait plus, tramé dans le quotidien, que le recyclage des désirs, tout un lyrisme de débâcle, vaguement honteux et régressif, rappelant les années d’adolescence. La plume se cabrait mais elle passait. Par tous les moyens pour la culpabilité et pour la honte. Je l’avais découvert. L’écriture ne craint pas les défis. Elle va volontiers à la peine. Tout ce qui veut vivre trouve sa manière, son déguisement.
Mais les carnets étaient surtout là, pour glaner le meilleur. L’écriture n’aimait pas se plaindre. Elle voletait à la surface de la rigueur. Elle faisait la part belle aux rencontres à l’improviste. D’anciennes amours en déshérence, ici ou là. Aux champs, à la ville. Une façon de les revivre. Elle en aimait les couleurs passées, les paradoxes. Elle aimait prolonger la réflexion vers l’enfance, la politique, les mystères et les hommes. Les hommes, surtout. Elle voulait, l’écriture, avoir cette liberté d’avouer ce goût si naturel, simplement, comme le font souvent les hommes, publiquement, quand ils disent leur penchant pour les femmes, le pluriel ne gêne personne, ce serait à peine une confidence, ce serait normal, banal, exactement comme pour eux.
Je laissais l’écriture aller devant exercer sa liberté. Puis je l’imitais, me risquais à sa suite et le disais ce goût des hommes, bravant mes propres craintes que les hommes de ma vie se sentent moins aimés, que mes fils, des hommes aussi, en soient troublés. Je le disais en subissant parfois des jugements qui venaient remuer au fond de moi l’eau boueuse des mots de ma mère...



... le plaisir est à la hauteur de ce qui ensauvage le désir… Qui peut mieux que les mots ? Quant à l’envie du pénis ! De la rigolade ! Avons-nous vraiment besoin d’en posséder un, nous qui sommes si merveilleusement fendues ? Fendue, un mot qu’Alex affectionnait ! Mot fruit, mot de notre déhiscence. Il en avait tant d’autres mots pour nous, les ouvertes, écartées aux mille nuances de l’opale et du vif indien, d’autres mots pour nos mouillures, la nacre de nos cyprines, nos profondeurs. Non, nous n’étions pas effractées par le sexe des hommes, n’avions pas de blessure, non, rien de nécessairement mortifère. Des sornettes tout ça… Les règles ne l’effrayaient pas, Alex me faisait l’amour dans l’onctuosité du sang et nous allions laver les fleurs pourpres dans les ruisseaux ou aux robinets des cimetières. L’eau des morts était gratuite...


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