"VARIATIONS", 2017
Yoland SIMON
Après Fichue Météo, qui
reçut le prix Jean Follain, Yoland Simon nous offre ici des variations
aux sujets divers : des paysages et des rituels familiers,
des événements et des instants volés à l’oubli, des personnages croisés
au fil des jours, des animaux qui partagent parfois nos existences.
Observateur attentif et souvent malicieux, l’auteur sait aussi, selon
le mot du comédien Louis Velle, rendre sensible la mystérieuse évidence des choses.
Yoland Simon est originaire du Cap de la Hague. Il présida la Maison de
la Culture du Havre puis l’Union Nationale des Maisons de la Culture.
Il a écrit plus de vingt pièces de théâtre éditées par Actes-Sud,
L’Avant-Scène, l’Œil du Prince… Il a publié Les Contes et légendes de Normandie chez Nathan, Un Désordre ordinaire au Mercure de France et Fichue Météo, chez H.B. éditions. Ses Œuvres poétiques ont été rassemblées en 2015, par les éditions du chameau.
Format 13,5 x 19 cm, 142 pages, tirage numérique en 200
exemplaires sur papier Munken Lynk 120 g, couverture sur papier Rives
tradition 250 g, reliure dos carré collé. ISBN :
978-2-917437-80-3. Prix de vente 15 € (+ 4 € pour frais de port). Si vous souhaitez acquérir
un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON de COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque
de 15 € plus 4 € de frais de port,
à l'ordre de "Galerie 175 - Éditions du Chameau", au 154 grande-rue
14430 Dozulé.
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Extraits du livre :
LA RIVIÈRE
Toutes les occasions sont bonnes pour évoquer les écrivains de
la mer. Ceux qui chantèrent leur rivière furent moins souvent à
l’honneur. De modestes cours d’eau durent pourtant à leur poète une
improbable célébrité. Le Loir de Ronsard, la Sorgue de René Char, Les Eaux étroites de Julien Gracq qui sont entièrement consacrées à l’Evre dont l’auteur du Rivage des Syrtes
décrivit les moindres accidents. Une minutieuse exploration que le
sujet justifie car, si on contemple la mer, il faut examiner la
rivière. Et, en effet, loin d’être toujours recommencée, la rivière est
perpétuel changement, entrelacs sans cesse renouvelé des éléments qui
la composent : la végétation qui borde ses rives, le travail de
l’eau qui a sculpté ses bords, la nature de son lit, des objets qui s’y
posèrent, les jeux modestement reflétés du ciel et du soleil. Et
cependant, si elle est dans son long étirement sans cesse différente,
elle est au contraire, regardée à un endroit précis, d’une lancinante
similitude. Selon les cas, paresseuse ou rapide, étranglée ou évasée,
claire ou turbide, contenue par les mêmes escarpements, enlisée dans
les mêmes sédiments, creusée dans les mêmes argiles, effrangée par les
mêmes herbes, encombrée par les mêmes branchages, agitée par les mêmes
remous, blessée par les mêmes cailloux, moirée par les mêmes lumières,
agacée par les mêmes libellules dont le ballet accompagne, sans
vraiment la troubler, votre rêverie. La rivière donne raison et tort à
Héraclite. Pour le promeneur qui en suit le cours, une eau toujours
différente, pour celui qui la regarde, immobile, une impression de
fixité dans son semblable et sempiternel écoulement.
LA MER DÉFIGURÉE
Il faut bien réparer tous ces excès commis lors des fêtes qui
saluent la nouvelle année. Alors, pour respirer un peu l’air du large,
on décide d’une longue promenade sur le bord de mer. Rituel qui
surprend et dont la presse locale ne manquera de faire état, si ce
n’est la télévision, quelques aventurières s’avancent dans les vagues,
sous le regard extasié des passants. Avec leur maillot une pièce et
leur bonnet de bain, elles ressemblent à ces statuettes de nageuses des
années vingt, s’apprêtant à plonger dans des bassins olympiques et qui
ornaient les buffets d’anciennes salles à manger. Moins aimable
spectacle, la tempête de la nuit a couvert la grève de multiples
débris. Des morceaux de bois, des ferrailles, de vieux bidons et,
surtout, des lambeaux de plastique. Ils couvrent les galets de longues
traînées blanches, ponctuées de taches bleutées qui, de loin,
rappellent des traces de neige ou d’écume. De près, hélas, ils
redeviennent les sordides déchets d’une industrieuse inhumanité,
rejetés ici par les furies de l’océan, comme on en voit aussi, portés
par le vent, aux abords des décharges publiques. Un peu partout,
traînent de petites boules que l’on prend souvent pour des éponges
mortes et qui sont en fait de petites grappes alvéolées où nichaient
des œufs de buccin. Rien ne s’arrange en s’avançant vers Sainte-Adresse
où tous ces détritus s’accumulent contre des brise-lames rongés par la
rouille. Las de ce spectacle et pour accentuer encore nos regrets, on
regarde les panneaux érigés ici par la municipalité et où sont
reproduites des toiles de Monet, de Dufy ou de Marquet qui magnifièrent
les couleurs de nos côtes et de nos plages, en un temps où les
inventions des hommes n’avaient pas encore gâté nos plus sublimes
paysages.
PARFAITE NORMANDIE
Jour de brume et de grise promenade à Saint Siméon, dans l’Eure, où mon
père fut instituteur. Au long du sentier, des fruits tombant sans qu’on
les cueille, quelques noisettes bien dissimulées sous de hautes herbes
et des feuilles mortes, des châtaignes, un peu partout, et dont on
écrase les bogues d’un pied rageur. Sur les talus, on recherche des
champignons comestibles, ceux que je suis censé connaître, mais qu’en
application d’un sage principe de précaution, personne ne voudra
manger. De toute façon, il y en a si peu, un maigre bolet, un pauvre
petit rose et aussi une splendide amanite au chapeau rouge vif, tacheté
de points blancs et d’une parfaite convexité. Plus loin, les maïs
coupés se hérissent dans les champs, comme des défenses romaines autour
du camp de Jules César. Ici et là, des moutons obèses nous regardent
passer avec leur tête un peu stupide de victime expiatoire ; des
bœufs blancs, mais passablement crottés, songent à leurs lointains
parents restés au pays, dans les prés du Bourbonnais ou sur les monts
du Morvan ; des poules, des pintades et des dindons, plutôt farces
avec leur roues et leurs fanons, s’activent dans l’enclos où des
lapins, toujours aussi fantasques, broutent, trottent et font tous
leurs tours.
À l’approche du village, sur la route du retour, deux hommes déplacent
des sacs chargés de pommes. L’un d’eux se relève un instant et
s’approche de nous pour un brin de causette. Bientôt, nous confie-t-il,
il va piler. Avec un antique pressoir, dont la vis se serre à la main.
L’écologie décidément est à la mode. Si le cidre en est meilleur, il ne
saurait le dire. Du reste, il ne le vend pas et n’en produit que pour
sa consommation personnelle, en dépit du médecin qui voudrait le lui
interdire. Éviter de cuisiner des amanites, passe encore, mais se
priver de bon cidre de Normandie… Impensable
LE MARAIS VERNIER
Parfois, las d’Étretat, d’Honfleur, de Cabourg, de la mer encore et
toujours, on décide de battre la campagne, de se promener dans le
Marais Vernier. Le nom rappelle ces lieux de consistance incertaine,
hésitant entre la terre et l’eau, un peu inquiétants et parfois
insalubres : les Dombes ou le Marais poitevin. On s’étonne de ne
trouver rien de semblable ici mais, au contraire, un microcosme de
Normandie, un parfait rêve de citadin. La saison apporte aussi son
concours qui comble les arbres de fruits : des pommes, des noix
fraîches que des dames sans âge vendent sur le pas des maisons. Près de
chaumières idéales, s’alignent des parterres de dahlias ou d’œillets
nains et des jardins cultivés sans trop d’apprêt. Dans les cours des
fermes, les volailles familières caquètent, glougoutent, cacardent. Des
faucheuses édentées, des tracteurs désossés, d’antiques engins
agricoles aux usages mystérieux, traînent dans des granges en pisé,
ouvertes à tous les vents et cernées par les herbes folles et les
orties. De jeunes chiens désœuvrés viennent parfois saluer les
promeneurs ou annoncer leur venue, sans grande conviction. Ce beau
dimanche retombe en enfance, s’émerveille sans cesse, comme on le fait
au zoo, devant tous ces animaux. Des ânes à qui l’on tendra, non sans
peur de se faire mordre, des plantes cueillies sur les talus, une
minuscule grenouille que l’on attrape en riant, qui s’affole dans votre
main, des cochons dodus, tout droit venus de quelque village gaulois,
des chevaux qui ne daignent guère vous regarder passer, des vaches,
légendairement inscrites dans le paysage, des oies si bêtement
méchantes et qui font un tintamarre à réveiller tous les gardes du
Capitole. J’allais oublier, attendue dans ce bucolique décor, l’auberge
renommée jusqu’au Havre, la grande ville posée de « l’autre côté
de l’eau », au-delà du pont de Tancarville dont les hautes piles
s’élèvent dans le lointain.
LES CHARMES D’HONFLEUR
Je suis né en septembre – Faut-il y voir une raison ? – j’aime les
entre-deux, les demi-teintes, les arrière-saisons. J’aime ces périodes
encore indécises qui préfigurent, dans des formes encore floues,
imprécises, le triomphe de nouvelles écoles, d’une nouvelle esthétique.
Les Primitifs flamands, juste avant la conquête de la perspective, les
peintres de l’École de Barbizon, avant les impressionnistes,
Apollinaire et les poètes fantaisistes, avant le surréalisme. Pour
cela, aussi, j’aime Honfleur et ses hésitations entre la terre, la
rivière et la mer. Tout finit et tout s’annonce ici. Comme devant un
poste frontière, les bateaux doivent attendre, pour gagner la haute
mer, l’ouverture d’une écluse patiente. Puis le large, qui se devine à
l’horizon, achève la Seine qui s’évase en prenant son temps. Le port
plus frileux, peu à peu, s’est enfermé dans un bassin étroitement
surveillé par de hautes maisons, revêtues d’ardoises. Près de la
Lieutenance, s’alignent de rares éventaires, chichement pourvus de
pauvres fruits de mer : des crevettes grises, quatre ou cinq
tourteaux. Au bord d’un modeste débarcadère, une vedette et ses bancs
sommaires attendent des passagers pour une promenade indiscrète sous
les dessous du Pont de Normandie. Charpentée comme les vaisseaux qui
somnolent près des quais, l’église Sainte Catherine dévoile, sans
pudeur excessive, ses rustiques boiseries et, au long de rues étroites
et achalandées, s’alignent des boutiques où l’on peut acheter, aimables
tentations d’un luxe modéré, des chocolats, des bibelots et du cidre
bouché. Dans le jardin, dit des personnalités, à quelques pas d’une
austère et dure grève, on a creusé un étang, bordé de roseaux agités
par le vent et où glissent des cygnes. Et l’on se laisse séduire par
cette harmonieuse simplicité qui n’impose rien et bannit tous les
excès. Autour, seulement, commencent les choses sérieuses. Deauville et
ses fastes balnéaires, le pays d’Auge et ses orgies de verdure, Le
Havre et ses intenses activités portuaires. Honfleur et ses
propositions variées convient, lui, à cette âme normande, hésitante et
madrée, qui s’engage avec circonspection et qui, avant de se décider,
tient à se faire sa petite idée.
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